Prologue : Une brèche dans l’ancien monde
C’est à la fermeture de l’école que j’ai cofondée que j’ai compris : nous avions échoué à coopérer.
Malgré notre engagement, malgré des valeurs communes, nous n’avions pas su dépasser les freins qui bloquaient notre organisation collective. Ce constat m’a ébranlée. Pourquoi n’avions-nous pas réussi à nous accorder, alors même que tout semblait aligné sur le papier ?
Peu après, une phrase de Sybille Saint Girons a opéré en moi comme un basculement :
« Imposer la coopération, c’est une dictature. »
Ce paradoxe apparent a mis en lumière un angle mort fondamental de ma démarche : le consentement. J’ai alors réalisé combien je connaissais mal ce concept, et à quel point il était absent, ou mal compris, dans nos tentatives de faire ensemble.
Mon chemin avait pourtant commencé avec des outils inspirants. La pédagogie Montessori m’avait appris que l’on ne peut accompagner la croissance d’un enfant sans l’accueillir dans son intégrité. Cette approche vise à former des citoyens pacifiés en développant leur paix intérieure : confiance en soi, maîtrise corporelle, émotionnelle, intellectuelle. Elle repose sur un principe fondamental : suivre la motivation spontanée de l’enfant, et créer les conditions propices pour qu’elle s’exprime librement.
En parallèle, ma formation en gestion de projet et mon expérience professionnelle comme maître d’ouvrage m’avaient dotée d’outils d’analyse, de planification, de mise en œuvre. Je savais raisonner en “mode projet” : identifier les problèmes, mobiliser les ressources, structurer les étapes.
Mais le terrain associatif — et particulièrement celui de l’éducation — m’a confrontée à une autre réalité. Celle où la liberté des individus, la singularité des enfants et l’engagement bénévole mettent en tension toute tentative de contrôle. Là, mes outils de management ne suffisaient plus. Un bénévole qui dit oui et ne fait pas, ce n’est pas une “erreur de pilotage” : c’est un signal.
Pourquoi a-t-il dit oui, alors que son “non” intérieur n’a pas été entendu ?
Petit à petit, j’ai compris que le cœur de la coopération véritable n’était pas l’organisation, mais le consentement.
Depuis, une quête s’est ouverte : celle des conditions favorables à une coopération libre, consciente, vivante. Une quête qui ne cherche pas à imposer un modèle, mais à explorer une manière d’être en lien, d’agir ensemble sans manipulation ni domination.
Ce texte n’est pas une doctrine. C’est un partage de sensibilité, de vécu, d’exploration.
Je l’écris pour celles et ceux qui, comme moi, veulent bâtir autrement. Qui cherchent des voies pour articuler engagement, liberté, et respect profond de l’autre.
Pour que nous puissions nous retrouver, réfléchir ensemble, et peut-être, co-créer de nouveaux espaces du “faire avec”, au lieu de “faire sur” ou “faire pour”.
1. S’accorder à soi : le consentement comme puissance tranquille
Dans nos démarches de transformation sociale, nous parlons souvent de coopération, de collaboration, de collectif. Mais avons-nous suffisamment interrogé les fondations invisibles de ces dynamiques ? Le consentement véritable en est l’une des pierres angulaires.
Dans le droit français, l’article 1130 du Code civil énonce :
« Le consentement peut être vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »
Ce texte juridique, s’il semble formel, affirme en réalité une chose essentielle : ce n’est pas la formulation explicite d’un “oui” qui suffit à valider un accord, mais la qualité des conditions dans lesquelles ce “oui” a été exprimé.
Le consentement engage alors bien plus qu’un accord contractuel. Il relève d’une éthique du lien, où chaque relation — qu’elle soit éducative, professionnelle, affective ou politique — repose sur une posture souveraine de chacun·e. Cette posture implique la capacité à dire “oui” librement, mais aussi à dire “non” sans risque de sanction ou d’exclusion.
À ce titre, le consentement authentique s’oppose radicalement :
- à la manipulation,
- au dogme,
- et aux formes plus ou moins visibles de domination.
On retrouve cette exigence dans l’histoire du droit international : le procès de Nuremberg a posé le refus d’obéir à un ordre injuste comme un devoir moral, engageant la responsabilité individuelle. Toute éthique du consentement authentique part de là : un “oui” extorqué par la peur, la pression sociale ou la séduction rhétorique n’a aucune valeur.
Les travaux de la philosophe Sandra Laugier sur l’éthique du care soulignent combien la vulnérabilité est au cœur des relations humaines, et combien le respect du consentement est une manière de protéger cette vulnérabilité plutôt que de l’exploiter.
De son côté, la philosophe Geneviève Fraisse rappelle que le consentement est toujours situé, historiquement, culturellement, et relationnellement. Le penser comme neutre ou “naturel” reviendrait à invisibiliser les rapports de pouvoir qui le conditionnent. Cette vigilance est fondamentale dans toute démarche de coopération réelle.
Enfin, Claudine Tiercelin, dans une autre perspective, nous invite à penser la connaissance et le choix dans une logique faillibiliste : consentir, c’est choisir dans l’incertitude, mais avec intégrité. Cela suppose d’accepter de se tromper sans renoncer à sa souveraineté.
Ce que nous révèle le consentement, c’est qu’il ne s’agit pas simplement d’un accord entre deux volontés, mais bien de la condition d’une relation non violente, d’un espace où chacun peut se dire et se retirer sans avoir à se justifier.
Dans cette perspective, on peut dire que refuser d’utiliser la contrainte pour obtenir la coopération est un acte éminemment politique. C’est se placer, pour reprendre les analyses de René Girard, au plus haut de l’échelle des organisations humaines : là où la violence sacrificielle est refusée comme mode de régulation sociale.
Il ne s’agit pas ici d’un idéal inaccessible, mais d’un repère éthique et pragmatique pour repenser les conditions de nos projets communs. Toute structure qui prétend œuvrer pour le bien commun sans interroger en profondeur la qualité du consentement qu’elle mobilise — de ses membres, de ses publics, de ses partenaires — risque de reproduire, sans le vouloir, les logiques qu’elle prétend dépasser.
Dans la suite de ce texte, nous explorerons les implications de cette éthique du consentement : pour nos organisations, pour nos manières de vivre ensemble, et pour la manière même dont nous construisons la réalité collective.
Car poser les fondations d’une coopération véritable, c’est commencer par s’accorder sur ce qui ne se négocie pas : la liberté de consentir.
2. Quand le « oui » recompose le monde : effets systémiques du consentement
Le consentement véritable ne se décrète pas : il se construit, se clarifie, se ressent. Il est un mouvement intérieur qui engage notre liberté et notre responsabilité. Mais il est souvent entravé par des dynamiques profondes : celles du sacrifice, de l’impuissance apprise ou de l’illusion de savoir. Pour comprendre ses implications, il faut oser creuser dans les angles morts de notre condition humaine.
2.1 Éviter les trois sacrifices
Dans une logique sacrificielle encore très présente, on peut facilement se perdre soi-même, sacrifier l’autre, ou nier une partie de la réalité. Ces trois formes de désalignement brouillent la possibilité d’un consentement juste.
- Se sacrifier soi : en tentant de réparer une douleur familiale, on peut s’imposer un parcours qui ne nous appartient pas. Par exemple, poursuivre des études non choisies pour « réussir » là où un parent a échoué, alors même qu’aujourd’hui, l’entrepreneuriat ou l’autodidaxie peuvent offrir une voie épanouissante.
- Sacrifier l’autre : cela se joue souvent subtilement, dans des attentes implicites ou des formes de chantage affectif, en faisant porter à l’autre le poids de nos décisions ou de nos frustrations.
- Sacrifier la réalité : cela arrive lorsqu’une croyance devient un dogme. Par exemple, penser que « l’argent est sale » empêche d’utiliser des leviers économiques pourtant essentiels dans des projets d’intérêt général.
2.2 Imparfaits mais responsables
Le consentement ne suppose pas la perfection. Il suppose un acte de lucidité : reconnaître notre incomplétude, tout en faisant le choix de nous engager. Cela rejoint le faillibilisme, cette idée que toute connaissance humaine est incertaine, mais que cela ne nous dispense pas d’agir.
Consentir, c’est donc oser dire « oui » sans garantie absolue. C’est choisir en adulte, en naviguant avec la conscience de notre fragilité. En cela, c’est un acte de courage épistémologique.
2.3 Sortir du triangle dramatique
En l’absence d’un vrai consentement, nos relations peuvent glisser vers ce que le psychologue Stephen Karpman appelle le triangle dramatique : victime, sauveur, persécuteur. Ce jeu psychologique empêche la responsabilité pleine et fausse les relations.
Revenir au consentement, c’est sortir de cette danse toxique. C’est affirmer : je ne me sauve pas à travers toi, je ne t’accable pas, et je ne m’efface pas. Je choisis d’être en lien à partir de ma souveraineté.
2.4 Répondre à l’objection : mais si l’humain est imparfait…
L’objection revient souvent : si nous sommes traversés par tant de biais, comment pouvons-nous réellement consentir ? La réponse est dans l’éthique même du consentement. Reconnaître notre faillibilité, c’est justement ce qui nous rend capables d’un choix non dogmatique, non mécanique.
Un consentement véritable est imparfait mais conscient. Il ne repose ni sur une illusion de toute-puissance, ni sur une abdication. Il est un geste de maturité : j’avance, en sachant que je peux me tromper — mais je choisis quand même. Aussi librement que ma raison le permet, nous dit Spinoza.
C’est dans cette posture que peut émerger une nouvelle architecture du lien, libérée des sacrifices, consciente de ses limites, et donc fertile.
2.5 Et maintenant ?
Dans vos collectifs, dans vos projets, dans vos formations : combien de fois avez-vous assisté à une décision prise sans vrai consentement ? Combien de fois avez-vous vu la responsabilité fondre dans un flou collectif, ou une énergie militante se dissiper faute de parole claire ?
Cette clarté n’est pas un luxe : elle est la base d’un agir juste. Le moment est venu de l’exiger, et de la cultiver.
Dans la prochaine partie, nous verrons comment ces principes peuvent éclairer concrètement des pratiques professionnelles, éducatives ou associatives.
Et vous ? Où en êtes-vous de votre capacité à consentir — et à reconnaître le non-consentement ?
3. Reconnaître ce qui lie sans libérer : les visages actuels du non-consentement
Dans le monde contemporain, certaines formes de domination se perpétuent en s’adaptant aux langages modernes. Elles ne se présentent plus comme des oppressions frontales, mais comme des récits séduisants, des mécanismes ordinaires, voire des évidences culturelles. Sous ces formes, c’est bien la question du consentement — ou plutôt de son absence — qui continue d’informer les structures sociales, médiatiques, économiques.
3.1 Le triangle dramatique rejoué à grande échelle
Le star-système illustre une reconfiguration contemporaine du mythe sacrificiel. À travers l’héroïsation, l’idolâtrie, puis la chute spectaculaire des figures publiques, se rejoue sans cesse le triangle dramatique de Karpman : bourreau, victime, sauveur échangent sans fin leurs rôles, dans un théâtre de projection collective. Ce récit circulaire génère de l’attachement émotionnel, de l’identification passive, mais rarement de véritables relations d’altérité ou de co-construction.
3.2 Culture du viol et logiques systémiques
La culture du viol et les dominations de genre ne se limitent pas à des actes isolés : elles structurent en profondeur des comportements, des institutions, des discours. Elles révèlent une civilisation où l’autre — en particulier dans son corps, dans sa parole, dans son désir — est souvent nié dans sa capacité à dire non, ou à dire autrement. C’est une société où la parole du plus fort, du plus sûr, du plus établi tend à prévaloir sur celle du plus fragile, du plus silencieux, du plus ambivalent.
3.3 Capitalisme et consentement confisqué
Le capitalisme contemporain, fondé sur l’exploitation des ressources — y compris humaines — organise des systèmes où l’accord est souvent présumé, arraché, ou enfermé dans des protocoles sans dialogue réel. Il transforme le temps, le soin, l’attention, l’expertise en marchandises, jusqu’à produire des situations où chacun devient un agent sacrificiel : de ses convictions, de son corps, de ses émotions, au nom d’une efficacité extérieure à soi.
3.4 Normes et savoirs : la maîtrise au détriment de la relation
Comme l’a montré Michel Foucault, certaines normes sociales, médicales, professionnelles ou éducatives se présentent comme neutres mais agissent comme dispositifs de contrôle. Elles organisent une forme de vérité légitime qui invalide d’autres récits, d’autres expériences. Le savoir se substitue à l’écoute, la norme au discernement, l’expertise au dialogue. Dans ce contexte, les voix dissidentes ou alternatives sont souvent perçues comme menaçantes, marginalisées ou récupérées.
3.5 Un fil rouge : la logique sacrificielle
Ces phénomènes, bien que divers, partagent une matrice : la logique sacrificielle. Elle repose sur l’idée qu’un bien collectif — sécurité, paix, ordre, prospérité — doit nécessairement s’obtenir par la mise à l’écart ou l’effacement de certains. Elle légitime une forme de renoncement imposé, sans dialogue ni choix éclairé. C’est cette logique qu’il s’agit d’interroger aujourd’hui, non pour condamner, mais pour transformer.
La visée n’est pas de désigner des ennemis, mais de mieux comprendre les mécanismes qui empêchent la reconnaissance mutuelle. En éclairant ces structures invisibles, nous pouvons commencer à imaginer, ensemble, des relations sociales fondées non sur le sacrifice, mais sur l’accord libre et la co-présence assumée.
Ce travail d’identification est un premier pas vers d’autres formes d’organisation, d’autres imaginaires, d’autres pratiques. C’est ce que nous explorerons dans la partie suivante : comment, concrètement, certaines communautés réparent et transforment ce qui fut brisé.
4. Faire autrement : des pratiques pour réapprendre à coopérer
Après avoir exploré les multiples visages du non-consentement dans nos sociétés modernes – depuis les mises en scène sacrificielles du star-système jusqu’aux formes invisibles de domination – il devient nécessaire d’ouvrir un autre espace : celui de la créativité transformatrice.
Il ne s’agit pas d’un mode d’emploi ni d’une nouvelle doctrine, mais d’un éventail de pratiques concrètes déjà à l’œuvre, parfois discrètes, souvent puissantes. Elles dessinent une autre manière d’habiter le monde, de travailler, d’apprendre, de gouverner, d’aimer et de transmettre.
4.1 Relire nos rituels, réinventer nos cadres
Toute société repose sur des rituels, explicites ou implicites. Le tribunal, la salle de classe, le plateau télé ou le contrat de travail sont autant de mises en scène qui rejouent souvent des logiques sacrificielles, où il faut un perdant pour qu’un ordre soit restauré.
Face à cela, des alternatives émergent : la justice restaurative par exemple, propose non pas de punir, mais de réparer. Elle invite les personnes impliquées à se rencontrer, à dire, à écouter, à comprendre. Le but n’est plus l’exclusion, mais la transformation.
4.2 Des lieux pour expérimenter d’autres possibles
Un peu partout, des lieux se créent, souvent dans les marges, pour essayer autrement. Des tiers-lieux, à la croisée entre l’espace privé et public, deviennent des laboratoires vivants. En s’installant dans une ferme abandonnée ou une école désaffectée, ces lieux redonnent sens à la terre et au bâti : ils deviennent « constituants », en ce qu’ils hébergent une communauté qui s’accorde sur des valeurs, des usages, une gouvernance.
La propriété privée, souvent outil d’accaparement, se retourne ici pour protéger une expérimentation collective. Non pas un retour en arrière, mais un mouvement de réinvention.
4.3 Une autre manière de transmettre et d’apprendre
Dans le domaine de l’éducation aussi, des pistes existent : la pédagogie Montessori, les approches de la pédagogie institutionnelle, ou encore les ateliers de philosophie pour enfants remettent la coopération, la confiance et la curiosité au centre de l’apprentissage.
L’élève n’est plus un sujet à remplir mais un être en chemin, capable d’apprendre avec et par les autres. Cette transformation passe par des formats souples, des temps d’écoute, et des outils pour expliciter les besoins de chacun et organiser l’entraide.
4.4 Inverser les logiques d’appropriation
Le droit d’auteur, par exemple, peut être détourné pour nourrir le commun. Le copyleft, popularisé par des penseurs comme Lionel Lourdin, permet de partager tout en gardant une intention claire sur l’usage. Il s’agit d’une forme de hacking social : détourner les règles du jeu sans tout casser, en modifiant leur finalité.
4.5 Des communautés en archipel
Plutôt qu’un grand système unique, beaucoup de collectifs choisissent de s’organiser en archipels : des communautés autonomes, mais reliées par des valeurs communes et un vocabulaire partagé. Loin de l’entre-soi, c’est une écologie de la diversité synchronisée.
Chaque groupe porte son projet, ses formes, ses rythmes. Ce ne sont pas des start-ups, mais des net-ups : des projets en réseau, coopératifs par essence, construits sur la confiance et l’écoute plutôt que sur la compétition et la croissance infinie.
4.6 Des outils de narration et de reliance
Pour sortir de l’isolement et renouer avec une puissance d’agir, certaines pratiques se révèlent puissantes : cercles de parole, anamnèses croisées, radios des vécus, où chacun.e peut dire, se raconter, écouter et être touché.e.
Ces formes favorisent un lien direct entre récits intimes et dynamiques collectives. Elles permettent de dépasser les silos culturels ou sociaux, et facilitent la reconnaissance mutuelle.
4.6 Vers une économie du consentement
L’économie sociale et solidaire, dans ses formes les plus engagées, propose un autre paradigme : l’accord mutuel et la co-responsabilité plutôt que la loi du marché. Il s’agit de prendre en compte les personnes, les territoires, les liens faibles autant que les contrats formels.
Il ne s’agit pas seulement de produire ou de vendre autrement, mais de repenser en profondeur le sens du travail, du revenu, du temps partagé.
4.7 Voir ce qui est déjà là
Enfin, il est vital de prendre conscience du foisonnement déjà présent. Loin de la morosité ou du cynisme, beaucoup d’initiatives existent, souvent à portée de main. Une bibliothèque partagée en esquisse les contours.
Regarder ce qui fonctionne, même à petite échelle, c’est déjà tracer des chemins. Car chaque petit pas, chaque acte relié, participe à cette révolution tranquille : celle du choix conscient, de l’accord, du soin, du récit retrouvé.
Ainsi se prépare, dans les interstices du monde ancien, une génération de bâtisseurs de communs. Sans grands slogans, mais avec attention, discernement, et courage.
5. Bâtir les conditions d’un monde habitable : l’architecture de la coopération
À l’origine de cette réflexion, il y a eu une série de rencontres. Celle avec Sybille Saint Giron d’abord, au sortir d’une aventure scolaire collective, puis celle avec Frédérique Assal, au cœur du premier confinement. Isolés dans nos foyers, empêchés de nous retrouver physiquement, nous avons spontanément créé un tiers-lieu numérique, un espace apprenant expérimental où les outils, les mots et les intentions se sont tissés dans une logique nouvelle, intuitive mais structurée : une architecture de coopération.
Nous étions à la fois concepteurs et premiers usagers. Ce qui nous a réunis, c’était l’envie de tester nos idées pour rendre possible la coopération libre, éclairée, durable. D’un côté, poser les fondations conceptuelles ; de l’autre, articuler concrètement les outils d’une transformation profonde. Sur le moment, ce travail était confidentiel, presque souterrain. Mais il a durablement marqué celles et ceux qui l’ont expérimenté.
Aujourd’hui, il devient plus clair que nous partageons des pratiques, des structures mentales, des façons de faire. Une syntonie se révèle : accord tacite entre des personnes qui, sans toujours se concerter, œuvrent dans une même fréquence. Bourdieu aurait peut-être utilisé le terme d’habitus, réflexe culturel sous le seuil de conscience.
5.1 Une approche systémique
L’architecture de la coopération n’est pas un modèle figé. C’est un design social vivant, composé de matériaux conceptuels et concrets, choisis et agencés en fonction des contextes. Elle s’appuie sur une approche systémique : chaque domaine est une maille dans le tissu de l’ensemble.
- Droit : contrats clairs, accords mutuels, libération des droits d’auteur (copyleft) pour favoriser la diffusion.
- Économie : modèles soutenables basés sur l’accord et la co-responsabilité (ESS, location solidaire, production énergétique partagée).
- Gouvernance : partagée, distribuée, facilitant la décision par consentement et l’autogestion.
- Systèmes d’information : transparents, ouverts, contributifs, alignés avec les valeurs du projet.
- Éducation : pédagogies de la coopération (institutionnelle, Montessori – éducation à la paix).
- Émotion et symbolique : rituels républicains réinventés, cercles de parole, narration collective, reconnaissance mutuelle.
- Label et traçabilité : exemple du bio comme confiance codée dans les pratiques.
5.2 Un exemple en cours
Un cas très concret de mise en œuvre est actuellement en cours : la réhabilitation d’une friche industrielle abandonnée, polluée et partiellement détruite par un incendie. Malgré la résistance institutionnelle, une démarche patiente et ouverte a permis d’initier un retournement progressif.
Plutôt que de “vendre” un projet finalisé, l’équipe a commencé par un diagnostic sensible du territoire : écouter les habitants, comprendre leurs besoins, repérer les envies émergentes, prendre le temps. La communication s’est faite en proximité, sans grands panneaux ni slogans, mais par la création de liens.
Peu à peu, des usages vont apparaître dans le village : besoin d’ateliers? de bureaux partagés? de lieux de stockage? Dejà, des promesses de location sont arrivées. L’écosystème se constitue. L’approche est radicalement inverse de celle d’un promoteur classique : l’espace devient réponse à des projets (ou pas), et non l’inverse.
Le montage juridique anticipe une propriété collective future. Le montage économique repose sur une logique hybride : location des espaces, production énergétique (revente d’électricité solaire), emprunt bancaire raisonné. L’écriture d’un projet d’établissement et d’un projet pédagogique est en cours.
5.3 Une stratégie de déploiement
Ce type d’expérience, bien qu’encore fragile, esquisse une stratégie de fond : transformer les créatifs culturels en force consciente et agissante. Les outils sont là. Les récits aussi. Il s’agit désormais de structurer une infrastructure d’accueil — lieux, méthodes, syntonies — pour en faire des foyers de transformation.
🌀 Qui sont les créatifs culturels ?
Le terme “créatifs culturels” désigne une part croissante de la population engagée dans un changement de société en profondeur.
Ils ne forment pas un groupe homogène, mais partagent des valeurs communes : respect du vivant, quête de sens, coopération plutôt que compétition, simplicité choisie, autonomie, développement personnel, et responsabilité collective.
Ces personnes agissent souvent en marge des institutions traditionnelles, mais nourrissent déjà — par leurs choix de vie, leurs pratiques et leurs engagements — une autre vision du progrès.
Elles sont parfois isolées, ou en réseau diffus, mais leur force réside dans leur capacité à relier l’action concrète au changement de paradigme.
L’architecture de coopération cherche à leur offrir des espaces, des outils et des récits pour se reconnaître, s’organiser et essaimer.
Ces architectures ne sont pas des utopies. Ce sont des grammaires d’action, enracinées dans le réel, portées par des humains qui veulent conjuguer liberté et coopération sans renoncer ni à l’individu, ni au commun.
Épilogue : Du mythe victimaire à l’archipel vivant
Nous vivons une époque de bascule. L’ancien monde s’effrite, le nouveau n’a pas encore de nom. Dans cet entre-deux, une tâche nous revient : celle d’imaginer et d’incarner un chemin hors du mythe victimaire.
La quête du consentement véritable, dans ses formes individuelles comme collectives, révèle un axe de puissance. Non pas un pouvoir sur, mais un pouvoir avec — une puissance d’agir, une puissance de relier, une puissance de créer sans sacrifier.
Ce texte est un jalon. Il invite à rechercher les conditions favorables à la coopération : dans nos manières d’habiter, de décider, d’apprendre, de produire, de prendre soin, de célébrer.
Il appelle à l’expérimentation concrète : oser faire un pas, même imparfait, même minuscule. Car chaque pas tisse une nouvelle trame.
Il propose aussi de co-écrire une nouvelle mythopoïèse : une narration vivante, ouverte, habitée par des voix multiples — artistes, jardiniers, bâtisseurs, conteurs du réel.
« Il ne s’agit plus de faire la révolution, mais de changer de fréquence. »
- 🧭 Recherche : Où sont les lieux, les alliances, les langages qui soutiennent la coopération ?
- ⚙️ Expérimentation : Quelles pratiques transforment l’espace et le lien ?
- 🎙️ Expression : Comment raconter ce qui se cherche, ce qui se trouve ?
À celles et ceux qui entendent cet appel : que la suite vous trouve vivants, reliés et audacieux.
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